FESTIVAL DE MUSIQUE DE SARREBOURG - 37E EDITION
DU 17 AU 20 MAI 2024
L'AFFAIRE VIVALDI
C'est quoi, l'Affaire Vivaldi ? Cela s'écoute et cela se lit
La Bibliothèque nationale de Turin possède la plus importante collection de partitions autographes de Vivaldi. L’histoire de son acquisition est elle-même si extraordinaire qu’on pourrait la croire tirée d’un roman; ce roman précisément qu’écrira précisément Federico Maria Sardelli.
En 1926, le recteur du collège salésien San Carlo de Borgo San Martino, village situé non loin de Casale Monferrato, voulut entreprendre des travaux de réparation dans son établissement. Pour rassembler les fonds nécessaires, il eut l’idée de mettre en vente de vieux ouvrages, soit des dizaines de manuscrits et livres imprimés entreposés dans le plus grand désordre sous les combles du collège. Afin de connaître le prix qu’il pourrait en demander aux antiquaires, il soumit leur expertise au musicologue et directeur de la Bibliothèque nationale universitaire de Turin, Luigi Torri (1863-1932), lequel confia ce travail à Alberto Gentili (1873-1954), professeur d’histoire de la musique de l’Université.
Il s’avéra que, parmi les volumes de la collection, 14 rassemblaient des partitions de Vivaldi, musicien alors peu connu du grand public ; il y avait aussi des œuvres d’autres compositeurs, notamment d’Alessandro Stradella. Soucieux de ne pas voir disperser une collection aussi exceptionnelle, ni même de la voir préemptée par l’État italien — donc, peut-être de la voir attribuée à quelque autre institution, Torri et Gentili voulurent trouver une solution pour la faire acquérir par la Bibliothèque de Turin, qui ne disposait pas du budget nécessaire. Cette solution finit par être trouvée par Alberto Gentili qui parvint à persuader un riche agent de change, Roberto Foà, d’acquérir la collection et d’en faire don à la bibliothèque en mémoire de son jeune fils Mauro, mort en bas âge quelques mois auparavant et dont le fonds allait porter et perpétuer le nom.
Cependant, ayant examiné les manuscrits vivaldiens, Gentili découvrit que, selon toute évidence, ceux-ci faisaient partie d’une collection plus importante dont il se mit en tête de découvrir la partie manquante. Les ouvrages cédés par les salésiens leur avaient été légués par un certain Marcello Durazzo (1842-1922) : grâce à l’aide de généalogistes, on identifia en 1930 le possesseur des autres volumes de la collection initiale — dont 13 nouveaux d’œuvres de Vivaldi, un héritier du frère de l’autre propriétaire, Flavio Ignazio (1849-1925), qui habitait à Gênes. Il fallut toute la patience et l’habileté du marquis génois Faustino Curlo (1867-1935) pour obtenir du détenteur que cette seconde collection fût cédée afin de reconstituer définitivement l’ensemble initial.
Mais la Bibliothèque de Turin ne disposant toujours pas du budget pour l’achat, Alberto Gentili dénicha, dans les mêmes conditions, un nouveau mécène, l’industriel Filippo Giordano qui accepta également en mémoire de son jeune fils Renzo, mort peu avant à l’âge de 4 ans, d’acheter la collection et d’en faire don en souvenir de son fils.
Les deux fonds ainsi rassemblés restèrent cependant distincts sous les noms respectifs de Mauro Foà et Renzo Giordano, rassemblant 30 cantates profanes, 42 pièces sacrées, 20 opéras, 307 pièces instrumentales et l’oratorio Juditha triumphans soit un total de 450 pièces dont la quasi-totalité de la musique d’opéra.
Les musicologues ne purent exploiter rapidement cette découverte exceptionnelle, car Alberto Gentili, auquel les droits d’étude et de publication avaient été expressément réservés était juif, et, comme tel, interdit d’activité académique par les lois raciales de l’Italie fasciste (promulguées en septembre 1938). C’est seulement après la Seconde Guerre mondiale que l’étude et la publication purent en être menées à leur terme